mercredi 4 avril 2007

La banlieue



Je m'inscris à un stage de montage vidéo à Saint-Ouen. On me prévient, je serai la seule représentante de la gent féminine mais aussi la plus âgée et la plus diplômée. Pas de problème, je ne suis pas là pour copiner et leur programme de formation m'intéresse.

Premier jour de formation:
J'arrive dans un hall peuplé de jeunes hommes d'à peine 20 ans en jogging-baskets-casquette. Je suis catastrophée. Je ferme mon sac et je me demande ce que je fabrique là. J'hésite puis décide de rester. On verra bien...

Au fil des jours, nous apprenons à nous connaître. Nous nous racontons des bribes de nos vies. Ils me respectent parce que je suis mère de famille et ils me traitent comme telle. Ils me posent des questions, se confient un peu aussi parfois. Plus le temps passe et plus je les trouve attachants. Peu à peu, je prends conscience que sous leurs airs de durs à cuire, ils sont terriblement résignés. Ils sont humiliés et méprisés chaque jour par l'ensemble de la société. Ce mépris et ces humiliations, ils les acceptent comme une fatalité, ils les intègrent comme une donnée sociale immuable. Ils sont un peu amers mais gardent le sourire et une certaine forme d'humour souvent empreinte d'auto-dérision.

Ils sont patriotes et ont du sens politique.

Ils ont aimé que la France ait dit non à la guerre en Irak:

"La vie de ma mère, comment Chirac il a éclaté la gueule à Bush! L'autre il est tricar!".

Ils ne succombent pas à la démagogie, qui les insulte:

"Sarkozy, quand il est venu à La Courneuve, il a donné des chèques-cadeaux de 200 euros à tous les chômeurs de moins de 25 ans. Il est che-lou ce mec-là! Y'en a pas qu'à La Courneuve des chômeurs de moins de 25 ans. Pourquoi il en a pas donné à tout le monde des chèques-cadeaux? C'est que pour les racailles ou quoi? Moi, en même temps, je m'en fous! Je me suis acheté un jean et un CD. Mais c'est pas ça la politique... S'il croit qu'avec 200 euros pour acheter des trucs, ils vont arrêter de brûler des voitures, il est complètement à la masse..."

Ils ont leurs propres codes vestimentaires et sémiologiques et alors? ils n'en demeurent pas moins des citoyens qui nous rappellent les exigences de liberté, d'égalité et de fraternité.

L'un d'eux m'a un jour dit:

"Ce week-end, je suis allé me promener à Paris. C'est trop beau. J'adore cette ville. Je sais pas si tu connais mais y'a des grandes avenues au métro Ecole militaire. Et ben, j'ai poussé la porte d''un immeuble, putain, c'est hallucinant, tout est beau! Les portes, la cour, les escaliers, c'est trop classe. Et y'a des sculptures, c'est vraiment trop, trop beau. Moi, plus tard, je veux habiter là."

Un autre en passant, lui a jeté en pleine figure:

"Arrête de rêver Bill! C'est pas pour toi tout ça!"

J'étais révoltée:

-Pourquoi tu lui dis ça? S'il a envie de vivre dans le 7ème, laisse-le. N'importe qui peut aller vivre là-bas. Il suffit d'avoir de l'argent, c'est tout!

-Ah ouais? Tu sais, moi, pourquoi j'ai quitté l'école?

-Heu... non...

- J'étais en 2nde, j'avais 14 de moyenne et je voulais passer un bac littéraire pour aller en philo à La Sorbonne. Mais y'avait plus de place dans la section L. Alors on m'a mis en gestion. Ca m'a saoûlé, je suis parti faire manutentionnaire à Carrefour. J'ai même pas pu choisir mon orientation alors dis pas que je pourrais aller vivre dans les quartiers de che-ri!

Je suis un peu à court d'arguments mais j'essaie quand même de lui demander pourquoi ses parents ne se sont pas opposés à cette décision d'orientation. Il me répond que sa mère trouvait ça très bien la gestion et que la philo, elle ne voyait pas à quoi ça servait.

En rentrant à la maison, j'exulte:

"Vous vous rendez compte? Ca me met en colère de voir tous ces gens qui sont malmenés dès la maternelle! On les casse tout de suite. On leur interdit de s'élever. C'est dégueulasse!"

Arthur me répond:

"Mais Maman, c'est des sauvages, ils ne savent même pas parler!"

Je suis horrifiée de voir que mon fils de 10 ans est déjà embrigadé dans un système de pensée normopathe:

"Quel mérite est-ce que tu as, toi? Ta bibliothèque vomit des livres que tu n'as jamais lus. Tout est facile pour toi. Mais ceux qui réussissent dans ces conditions, te sont cent fois supérieurs. Ce sont des génies! Toi, tu considères que tout t'est dû. Eux, ils acceptent que l'on considère qu'ils ne méritent rien."

A sa petite mine déconfite, je comprends que j'y suis allée un peu fort. Il ne faisait que me renvoyer l'image de l'éducation qu'il avait reçue, c'est à dire la mienne...

Finalement, les émeutes de 2005 ça n'a vraiment pas été grand chose, en comparaison de ce que ça aurait pu être...

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