vendredi 30 mars 2007

Federico Mayor, l'insurgé

Federico Mayor, c'est lui:



Il a éclairé mon adolescence.

Il m'a appris plus que quiconque. Il me parlait d'énergie solaire, d'eau, de culture de paix. Il disait qu'il fallait que les gens de ma génération s'emparent de ces causes. Il m'a aidée dans les heures les plus tortueuses de mon adolescence. Il ne juge rien, il ne voit que le bon côté des choses, que le bon côté des gens. Il protège ceux qui l'entourent de leurs démons. Il sait transformer leur fardeau en richesse. D'un mot, il peut guérir toute une vie.

Il me disait: "C'est bien, tu es rebelle. Mais un jour, tu vieilliras. Alors, n'oublie pas, demande-toi toujours si tu as encore de la révolte en toi. Tu apprendras à faire des compromis mais reste rebelle.". J'adorais. J'adore toujours, en fait.

Un jour que je lui reprochais de ne pas m'accorder assez de temps, il a pris un air triste et il m'a dit: "Regarde ce bureau. Il est plein de papiers. Parfois, j'ai envie de les prendre et de les jeter. Tu vois, ici, c'est ma prison." Et alors, presque pour lui-même, il a inventé une chanson: "paper, paper...". Et j'ai compris.

On l’écoute, il vous panse de ses mots, de son aplomb, de sa bonté. A ses côtés, on veut croire en tout. On retrouve ses rêves d’enfants. Si vous les aviez oubliés, lui les a conservés pour vous. Il vous les rend magnifiés. Il vous invite à des retrouvailles avec votre quintessence. Il vous rappelle vos aspirations profondes. Il remet entre vos mains le pouvoir de changer le monde. Alors vous cherchez comment le remercier, comment lui rendre l’inestimable. Il n’y a rien. Il soupire. Il a juste envie d’un sourire désintéressé, d’un poème récité, d’un éclat de rire pour oublier, d’une chanson inventée comme ça, au hasard d’une conversation un soir d’hiver. Il a besoin d’un petit livre à glisser dans la poche de sa veste parce que parfois, il a envie de faire la réunion buissonnière et de lire, au cœur d’une plénière, un recueil de poésie posé sur les genoux sous la table. Parfois l’ennui est trop grand. Oui, la démocratie qu’il chérit tant exige que tous aient le même temps de parole. C’est vrai que c’est une belle chose la liberté d’expression. Mais la liberté de ne pas écouter n’existe pas, alors quelques fois, juste de temps en temps, il voudrait prendre la liberté de lire en secret. Il ne demande rien d’autre. Juste un peu de liberté à lui pour continuer à défendre celle des autres.

Je n'étais encore qu'une enfant pas toujours très structurée intellectuellement et il m'a ouvert le monde par ses qualités humaines et la force de son engagement.

Ces vers me font penser à lui:

Victor, sed victus

Je suis, dans notre temps de chocs et de fureurs,
Belluaire, et j'ai fait la guerre aux empereurs;
J'ai combattu la foule immonde des Sodomes,
Des millions de flots et des millions d'hommes
Ont rugi contre moi sans me faire céder;
Tout le gouffre est venu m'attaquer et gronder,
Et j'ai livré bataille aux vagues écumantes,
Et sous l'énorme assaut de l'ombre et des tourmentes
Je n'ai pas plus courbé la tête qu'un écueil;
Je ne suis pas de ceux qu'effraie un ciel en deuil,
Et qui, n'osant sonder les styx et les avernes,
Tremblent devant la bouche obscure des cavernes;
Quand les tyrans lançaient sur nous, du haut des airs,
Leur noir tonnerre ayant des crimes pour éclairs,
J'ai jeté mon vers sombre à ces passants sinistres;
J'ai traîné tous les rois avec leurs ministres,
Tous les faux dieux avec tous les principes faux,
Tous les trônes liés à tous les échafauds,
L'erreur, le glaive infâme et le septre sublime,
J'ai traîné tout cela pêle-mêle à l'abîme;
J'ai devant les césars, les princes, les géants
De la force debout sur l'amas des néants,
Devant tout ce que l'homme adore, exècre, encense,
Devant les Jupiters de la toute-puissance,
Eté quarante ans fier, indompté, triomphant;
Et me voilà vaincu par un petit enfant.

Victor Hugo (L'Art d'être grand-père)

Ces vers-là sont de lui:

You looked at me
as I went by.
Flags and sirens
proclaimed my rank.
You, indifferent,
to one side
of the road.
You and me,
both transient passers by,
both alone
clothed in our own mistery.
How I would have loved
to reach up to you
and tell you
I am fighting
each day
to brake the chains
of your monotony!

Federico Mayor - Beijing, 26 september 1988 (Patterns)

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